mardi 27 février 2007

Citation française

Je vais ou je m'ignore.

- Jean Caryol

lundi 26 février 2007

Le ghetto québécois

Avec Martin, Jean-Marc, Alexandre, Kevin et Nicolas, le bloc F était devenu un lieu ou la culture québécoise s'était faite dominante. Les québécois n'étaient pas majoritaires dans le bloc, du moins pas en nombre, mais ils étaient solidaires. Dans ce bâtiment où les résidents se caractérisaient pas leur timidité, la chaleur québécoise faisait contraste.

A tous les soirs, les cuisines du troisième étage devenaient le lieu d'une réunion conviviale. On y préparait des "spagat", des hots dogs (selon la recette de hots dogs en résidence française) et des burgers, entre autres. Alexandre et Kevin débouchaient les bouteilles de vin, et les québécois mangeaient, buvaient et parlaient pendant des heures. Les soirées ne se terminaient qu'à vingt-trois heures, quand la sécurité venait fermer la cuisine pour la nuit.

Entre les journées à l'universite française et les soirées au bloc F, Nicolas avait trouvé un confortable équilibre. Son ignorance le plongeait dans un présent qu'il appréciait.

jeudi 22 février 2007

Sainte-Foy

Deux nouveaux québécois arrivèrent à Lyon. Ils étaient des étudiants en échange, en provenance du cégep de Sainte-Foy. Des vrais petits gars de Sainte-Foy, fêtards alcolo sans honte, deux cégepiens pour qui on devrait écrire Sainte-Foie.

Ils étaient arrivés à Lyon totalement sur le décalage horaire, avide de goûter ce que la France avait de mieux à offrir. Ils découvrirent le Vin.

Pour eux, le Vin français était un cadeau du Ciel. Ils débusquèrent des bouteilles à 12% qui ne coutaient pas deux euros. Du blanc, du rouge, du rosé. La première fois qu'ils virent les interminables rangées de bouteilles alignées, ils tombèrent à genou, remerciant le Divin d'autant de générosité.

Alexandre et Kevin étaient des buveurs pratiquants. Ils ne faisaient pas que croire à l'Effet sacré de l'Alcool, ils le redécouvraient à chaque soir. En ce pays où on trouvait du Vin moins cher que de l'essence, ils entendaient le Seigneur leur souffler sa Sainte Parole. "Allez et buvez en tous. Ceci est mon Vin, versé pour vous."

Nicolas rencontra les deux fanatiques le soir où il rentra de Montpellier. Les trois québécois mangèrent ensemble un repas bien arrosé.

- Alors Nicolas, c'est comment la France?

Nicolas expliqua sommairement comment on vivait en France. Il leur parla des conventions françaises, du mode de vie, des habitudes à prendre. C'était la réponse d'un Nicolas qui n'avait pas de savoir. Une réponse sans conséquence, sans prédictions. C'était une réponse insuffisante. Mais pour les deux garçons de Sainte-Foy, c'était une très bonne réponse. Ils étaient trop enfoncés dans leurs rites religieux pour percevoir la subtile ignorance qui définissait Nicolas.

mardi 20 février 2007

Citation française

Savoir. Forme d'ignorance qui distingue les studieux.

- Ambrose Bierce

lundi 19 février 2007

Double Poker

Jacques, père de Céline, joueur expérimenté.
Loris, ami de Céline, champion du tournois 2006 de l'IUT de Lyon.
Pierre, collègue musicien de Jacques, bluffeur réputé.
Nicolas, ami de Céline, québécois sans savoir.

Tous les quatre s'étaient retrouvés autour de la même table de poker, texas hold’em. Ils y avaient amenés vingt-cinq euros chacun, qu'ils joueraient jusqu'à la fin. Le gagnant emporterait cent euros.

Céline était partie se coucher, considérant ce jeu irraisonnable. L'alcool s'était mis à couler, et depuis plusieurs heures on ne comptait plus le nombre de bouteilles de vin débouchées. Des grossières erreurs commises par Loris et Pierre avaient placés le trois quart du capital de la table à la disposition de Jacques et Nicolas. La partie se jouait donc entre ces deux joueurs.

Nicolas ne buvait pas beaucoup. Il voulait toute sa concentration pour la partie. Jacques, lui, ne se retenait pas pour profiter du vin. Il avait bu beaucoup, et ça commençait à paraître.

Nicolas était focalisé sur le jeu. Deux parties de poker se déroulaient simultanément.

Une simple partie de poker est déjà complexe. Il faut déterminer, entre les bluffs, les feintes et les doubles bluffs, si son jeu est meilleur que celui des adversaires. Il faut comprendre la relation entre pouvoir et capital. Il faut pousser ses adversaires à s'entre attaquer, sans jamais se vaincre, de sorte à ce qu'aucun de ses adversaires ne s'empare de la majorité du capital. En situation de force, la maîtrise du jeu de puissance est essentielle, et une simple erreur peut réorienter la position du pouvoir sur la table. Il faut toujours rester maître de soi. Le poker est un jeu de psychologie, de patience, d'économie, de contrôle de soi, de hasard, de pouvoir et d'audace.

Plus complexe, un deuxième poker, parallèle, plus subtil, se jouait. Jacques avait beaucoup bu. Il tentait de paraître trop saoul pour bien jouer. Pour être crédible, il devait bien sûr boire réellement. Il tentait de maîtriser du mieux qu’il le pouvait l’alcool qui coulait dans ses veines. En plus, il la canalisait, il s’en servait pour faire disparaître tout son stress.

Nicolas était conscient que Jacques tentait de se faire sous-estimer. Jacques jouait plus faiblement qu’il en était capable, et Nicolas en profitait pour remporter des jeux banals et réduire, pièce par pièce, le capital de Jacques.

- Une autre coupe, mon Jack ?
- Allez, pourquoi pas ? Il est si bon ce vin.

Jacques feignait d’être encore plus saoul. Mais il l’était quand même un peu plus. Dans ce deuxième poker, Jacques cachait sa capacité réelle de jeu. Et Nicolas tentait de lire cette capacité.

Le stratégie de Jacques était simple. Il voulait se faire sous-estimer de Nicolas jusqu’à ce que Nicolas commette une erreur fatale.

Nicolas ne pouvait pas tout simplement jouer comme si Jacques n’avait pas bu. Jacques était un trop bon joueur pour Nicolas. Nicolas devait donc feindre de sous-estimer Jacques, pour que Jacques lui laisse gagner une série de jeux banals. Mais il devait rester suffisamment aux aguets pour ne pas commettre l’erreur fatale qu’attendait Jacques.

Jacques ne pouvait pas tout simplement cesser de boire et l’emporter. Pour abattre Nicolas normalement, il aurait dû s’engager dans un jeu de puissance. Mais les deux autres joueurs, qui possédaient encore ensemble un quart du capital, rendaient risqué tout jeu de puissance.

Les enjeux étaient donc entre Jacques et Nicolas, et la guerre entre ces deux joueurs prenait place à travers un poker parallèle. La maîtrise de l’alcool faisait office de cartes, et les coupes de vins remplaçaient les jetons.

- Jack, ta coupe est vide, je te sers.
- Merci. Tu ne veux pas boire Nic ?
- Boaf, tu sais, par chez nous, le vin…

Vers cinq heures du matin, le jeu décisif de la partie arriva enfin. Loris avait été élimé une heure plus tôt. Pierre possédait le cinquième du capital de la table, soit une vingtaine d’euros. Jacques et Nicolas possédaient à peu près les deux cinquièmes du capital chacun, soit une quarantaine d’euros chacun. Sur la table, il y avait le neuf de cœur, la dame de trèfle et l’as de cœur. Pierre mit all-in. Jacques suivit.

Nicolas avait dans sa main le dix de cœur et le sept de cœur. Avec la table, ça lui donnait quatre cartes en cœur, et il ne lui en fallait qu’une de plus pour avoir une couleur. Le jeu probable fort sur lequel les deux autres s’étaient lancés était la paire d’as, qui se ferait écrasé par une couleur. En misant all-in, Pierre allait débalancer le capital de la table. Si Nicolas se couchait et que Jacques l’emportait, Jacques se retrouverait avec le trois cinquième du capital, assez pour remporter un jeu de puissance. Nicolas décida donc de suivre. Il espérait voir apparaître un cœur.

- Je suis.

Loris, qui faisait le croupier depuis sa défaite, plaça sur la table la quatrième carte, nommée « the turn ». Cinq de cœur. Nicolas n’afficha aucun sourire. Intérieurement, il crut avoir gagné.

Jacques n’enchérit pas. Nicolas non plus. Soixante euros étaient sur la table, les mises additionnelles importaient peu maintenant. Le gagnant de ce jeu allait devenir le gagnant de la partie.

Loris dépose la cinquième carte, « the river ». Neuf de pique. Aucune enchère ne suivit.

Pierre dut dévoiler sa main le premier. Dame de carreaux et quatre de pique. Paire de dames, plus la paire de neuf sur la table. Double paire, moins fort qu’une couleur. Nicolas est content. Au tour de Jacques de dévoiler sa main. As de pique et as de carreau. Brelan d’as, plus la paire de neuf sur la table. Main pleine, la main au dessus de la couleur.

Nicolas dévoila tristement sa main. Cinq cartes en cœur, une bonne main, mais une main insuffisante quand même. Nicolas se retrouva avec le cinquième du capital, Jacques avec le quatre cinquième. Vingt minutes plus tard, Jacques l’emporta.

- Belle partie Jack, félicitations.
- Nicolas, ça fait des années que je n’ai pas autant apprécié une partie de poker. Merci.

Nicolas avait commis l’erreur fatale. Il avait perdu le subtil poker secondaire, et par le fait même, le poker primaire qui se jouait sur la table. Déçu, mais content de la partie, il décida d’aller se trouver un petit déjeuner.

samedi 17 février 2007

Le père de Céline

Quarante-six ans et un regard de vieux loup, Jacques amait décidemment la vie. Il savait apprécier l'argent, les femmes, l'alcool et le jeu, entre autres. C'était le genre de type qui voulait tout essayer et qui le faisait.

Jacques avait fait du marketing en Allemagne, en exportant des vins de producteurs qu'il connaissait. Barman à New York, il avait fait fureur avec son accent français. Il s'était ouvert deux restos en Angleterre, et l'un d'entre eux roulait toujours. Croupier au casino de Marseille, il avait appris à manipuler les cartes et l'argent avec le sourire, la confiance et l'attitude. A Paris, il avait joué à la bourse. Il avait gagné et perdu des sommes incroyables. Il adorait la musique et s'était payé un petite tournée de Jazz comme bassiste. Ses souvenirs les plus mémorables de cette épopée prenaient place dans les indescriptibles cafés d'Amsterdam.

Il avait roulé sur l'or toute sa vie, et il proclammait que la chance était à la portée de quiconque en voulait. Il avait aimé les femmes, beaucoup, souvent et différentes. Il connaissait le vin, le whisky, la politique et le risque. Jacques n'était pas facilement impressionnable.

A Montpellier, il s'était lié à une femme nommée Hélène, petite brunette légère, comme le sont généralement les filles du sud. Il a cru qu'elle était la femme de sa vie. Jacques et Hélène s'étaient mariés, et ils avaient eu une fille, Céline. Pour Jacques, Céline était sa fierté. Elle avait sa fougue, en plus de la beauté de sa mère.

Le mariage de Jacques avait duré quatre ans. Jacques aimait trop la vie pour n'aimer qu'une seule femme. Jacques n'avait jamais trompé Hélène; il tenait avant tout à rester un gentleman.

Divorcé, il était divisé entre les deux choses auxquelles il tenait le plus au monde, soient sa vie trépidante et sa fille. Il avait été décidé que Céline serait élevé à Montpellier. Jacques se sentait donc contraint à poser pied à Montpellier, et il s'investit à fond dans l'industrie touristique locale. Comme d'habitude, l'argent revint vite à Jacques. Il en profita donc pour voyager, et vivre, comme il l'avait toujours fait.

Dans le train, Céline parlait à Nicolas de son père. Elle ne l'appréciait pas vraiment. Pour elle, son père avait abandonné sa mère. Il était à ses yeux un égoïste qui ne s'était jamais intéressé à elle, un courreur de jupons qui ne serait jamais un père. Jacques n'avait jamais vraiment été présent pour Céline.

A Montpellier, Nicolas serra la main de Jacques.

- Bonjour, Nicolas.

Nicolas était impressionné. Jacques avait une telle façon de serrer la main, de regarder et de s'exprimer. En une poignée de main, en un échange, Nicolas sentait toute la volonté de puissance de Jacques.

Entre la force qu'émanait Jacques et le témoignage de Céline, Nicolas ne savait que penser de l'être devant lui. Il n'arrivait pas à déterminer s'il rencontrait un homme, un vrai, ou un être pitoyable.

vendredi 16 février 2007

Se lever après l'open vodka

Le soleil se leva et réveilla Nicolas. La lumère lui faisait mal aux yeux. Il avait mal à la tête. Sa gorge était sèche. Son foie réclammait du repos.

Après une douche, de l'eau et un petit déjeuner acceptable, Nicolas allait mieux. Il ne pensait plus à la blonde de la veille, Mikka ne l'accablait pas trop. C'était probablement parce que l'alcool n'envahissait plus ses pensées. Toutefois, quelque chose clochait.

Nicolas réfléchissait, et il ne savait plus comment savoir. Il avait beau chercher dans son cynisme, sa raison, il ne retrouvait plus sa chère connaissance. La France, cette inconnue, avait eu raison de son savoir.