C'était un cours de mathématiques. Monsieur Ratard marchait tranquillement entre les bureaux de la classes, à la recherche d'une victime. Certains étudiants faisaient semblant d'être forts et irréprochables, d'autres se faisaient petits et discrets. Quand Ratard chasse, toutes les tactiques sont légitimes pour éviter de passer un mauvais moment un tableau.
Il s'arrêta devant un étudiant.
- Toi!
- Euh quoi?
- Au tableau.
Vaincu, le grand étudiant aux cheveux bruns s'avança au tableau. Il avait l'attitude d'un prisonnier d'un guerre. Il s'était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, et maintenant il devait bien se comporter s'il voulait un jour être libre.
Le pauvre éprouvait de grandes difficultés en mathématiques. Il ne comprenait rien aux calculs matriciels et aux règles de transformation des ensembles. Quand Monsieur Ratard lui posait des questions, il figeait devant le tableau, ne sachant pas du tout par où commencer. Alors il encaissait les remarques de Monsieur Ratard, qui ensuite lui expliquait comment s'attaquer au problème.
- Euh Monsieur Ratard, je sais pas du tout quoi faire là.
- Surtout ne touche à rien! T'as déjà bousillé assez d'exercices, je veux pas que tu me barbouilles encore le tableau de ton art abstrait. Commence part faire un produit matriciel.
Le maladroit commença à écrire au tableau. Confus et stressé, il entamma une addition de vecteurs qui ne faisait pas vraiment de sens. Ratard intervint.
- Non, non non. Tu penses trop et tu fais tout faut. Arrête de penser et fait ce que je te dis, on te réveillera quand ce sera fini.
Un élève lui souffla que ce n'était pas ça, un produit matriciel. L'étudiant au front effaça tout et commença son produit matriciel. Il était angoissé, il doutait et il écrivait horriblement lentement. Deux minutes et huit chiffres plus tard, Ratard n'en pouvait plus.
- C'est horrible. J'ai l'impression de vivre un film au ralenti!
Voulant en finir, le victimisé du cours termina son tableau en vitesse, sans fautes. La confiance reprit. Il regarda un instant le problème, et il déduit que c'était maintenant qu'allait s'appliquer l'addition vectorielle.
- Et pour la suite, tu fais quoi?
La voix de Ratard ramena à sa conscience la douleur de ses traumatismes. Il baffouilla à voix basse sa pensée.
- C'est l'add..ton des... vect... matrice. Peut-être ?
Il faisait pitié. Monsieur Ratard en avait conscience, mais ce n'était pas la faiblesse d'un étudiant qui allait lui faire vivre une quelconque sympathie. Ironiquement, il fit une faible imitation de compassion.
- Oh. Raconte-nous ton problème.
- Bien.. On avait des vecteur, et puis il fallait les .. oh non, c'était des matrices, donc on les a multiplié, et puis les sous vecteurs formaient des lignes, alors d'une ligne à l'autre on peut obtenir euh... Si on fait une multiplication, ça prime sur l'addition, mais si ce sont des vecteurs donc il faut les combiner en matrice, alors...
Ce qu'il disait ne faisait aucun sens. Ratard, assis dans sa chaise au fond de la classe, riait de sa voix grave.
- Il parle autocrypté! Bon allez, t'as assez donné, tu peux retourner à ta place. Tu écriras "tableau" sur la feuille de présence, l'administration te versera une indemnisation! Allez les enfants, on continuera au prochain cours.
Ratard était beaucoup critiqué pour sa demarche pédagogique. Mais elle présentait une certaine efficacité. Le traumatisé du tableau, le soir même, étudia pendant des heures ses mathématiques, pour être certain de ne plus subir de telles émotions. Il en apprit assez pour rattraper le niveau de la classe. Sa souffrance l'avait motivé à vaincre son ignorance en mathématiques.